Bonheur au travail : est-ce à l’entreprise de nous rendre heureux ?
Jean-Yves Mercier

Bonheur au travail : est-ce à l’entreprise de nous rendre heureux ?

Jean-Yves Mercier

À l’heure des Chief Hapiness Officer, ou responsable du bonheur, les entreprises semblent devoir endosser la responsabilité du bonheur de leurs salariés. Mais est-ce vraiment leur rôle ? Sont-elles responsables de ce bonheur apparemment tant recherché et souhaité par les employés ? Non. Cependant, elles se doivent de créer des conditions favorables pour que chaque individu puisse y trouver, par eux-mêmes, leur propre bonheur.


C’est un poste qui a le vent en poupe depuis quelques années dans les entreprises :  Chief Happiness Officer ou Happiness Manager. En français, il s’agit du “Responsable du bonheur” en entreprise. Sur le réseau social professionnel LinkedIn, ils sont un peu plus de 700 inscrits en France à revendiquer cette fonction dont la mission principale consiste à “améliorer la convivialité et le bien-être des collaborateurs”.

 

Si les startups et surtout les grands groupes parient aujourd’hui sur ces managers du bonheur, ce n’est pas pour rien ; le fait d’être épanoui au travail améliorerait significativement la productivité et favoriserait à long terme la fidélisation. Mais au-delà de ces bénéfices, semblent-ils significatifs, le “bonheur au travail” est devenu un critère essentiel chez une grande majorité des salariés qui, depuis le début de la pandémie de Covid-19, ont reconsidéré leur rapport au travail. Il n’est plus question d’un travail comme source de rémunération, mais d’épanouissement personnel. Trouver du sens, s’accomplir pleinement, être en phase avec ses valeurs, tels sont les désirs des actifs d’aujourd’hui.

 

Nombre d’entreprises multiplient ainsi les actions pour cultiver ce soi-disant bonheur. Elles investissent dans des bureaux plus chaleureux et conviviaux, dans des activités pour dynamiser la cohésion d’équipe et le “mieux vivre ensemble”, comme les fameux team building. Mais surtout, elles investissent dans l’humain : davantage de responsabilités, d’autonomie et de liberté dans l’organisation du travail. Elles partagent leur vision, promeuvent la confiance, la bienveillance et les relations humaines. Des notions qui n’avaient jusqu’alors peu, voire pas du tout leur place dans les organismes très hiérarchisés.

 

Outre les Chief Happiness Officer, on y voit également apparaître d’autres postes dans les sociétés ; on y trouve également des responsables RSE (responsabilité sociétale des entreprises) et QVT (qualité de vie au travail). Des fonctions qui n’existaient pas, il y a encore quelques années.

 

Cet engagement en faveur du bonheur au travail est tout à fait louable, mais cette notion soulève une vraie interrogation : est-ce à l’entreprise de nous rendre heureux ? Autrement dit, l’entreprise est-elle vraiment responsable de notre bonheur ?

 

Créer des conditions pour favoriser le bonheur au travail

 

Comprenons tout d’abord le mot « bonheur ». Parmi les multiples définitions existantes, prenons celle de l’Académie Française qui définit le bonheur comme étant un « état de parfaite satisfaction intérieure ». Comme tout sentiment, être heureux est avant tout une expérience subjective. Le bonheur est propre à chacun, il peut se manifester, se vivre de différentes manières et surtout selon différents critères. Mais encore faut-il déterminer cet état. Tout comme sa définition, notre bonheur est souvent abstrait. À la question, « qu’est-ce qui vous rend heureux ? », nous ne savons pas toujours quoi répondre, car ce bonheur évolue également constamment en fonction de nos interactions avec notre environnement. Ce qui m'a rendu heureux la semaine dernière peut me rendre malheureux aujourd’hui. Et inversement.

 

Créer artificiellement une “bulle de bonheur au travail” est par ailleurs très questionnable. Nous pouvons avoir un super job qui comble toutes nos attentes, mais si nous ne sommes pas heureux dans notre vie personnelle, nous serons difficilement pleinement épanouis au bureau. À l’inverse, si notre travail ne nous satisfait pas pleinement, mais que nous sommes très heureux dans notre quotidien personnel, nous compenserons inconsciemment. « Tout va bien dans ma vie, le travail n’est qu’un détail », pourrait-on se dire. Mais si notre environnement professionnel nous pèse vraiment, nous ne pourrons plus en faire abstraction.

Enfin, l’entreprise a ses codes, sa culture, ses objectifs qui contraignent forcément l’action et la vie collective. Même si elle pouvait s’engager pour le bonheur de ses collaborateurs, ce ne pourrait donc être qu’un bonheur relatif. Un bonheur de bien vivre dans un environnement prédéfini pour ceux qui adhèrent totalement et à chaque instant aux principes de leur employeur. On peut là aussi se questionner sur la plénitude d’un bonheur finalement contractuel… 

 

De ce fait, comment une entreprise peut-elle se porter garante du bonheur de chacun de ses salariés ? Cela est impossible. Le bonheur étant bien trop complexe et surtout personnel pour en faire un objectif commun. L’organisation ne peut satisfaire toutes les attentes et aspirations de chacun, et ce, même si elle croit tout mettre en œuvre pour y parvenir. L’entreprise ne peut en aucun cas être responsable du bonheur de ses employés. En revanche, elle peut, voire se doit de créer des conditions favorables pour aider ses collaborateurs à s’épanouir selon leurs propres besoins dans le cadre de l’action collective. 

 

Nous sommes responsables de notre propre bonheur, pas l’entreprise

 '

Finalement, le seul responsable de notre bonheur n’est autre que nous-même. Penser que notre entreprise doit nous rendre heureux est illusoire, voire dangereux, car à partir du moment où nous considérons qu’une société se doit d'endosser la responsabilité de notre bonheur, nous nous déresponsabilisons. A un moment ou un autre, nous ne serons que forcément déçus par telle directive donnée ou par  telles actions effectuées au sein de notre organisation . Trop d’attentes engendrent indéniablement beaucoup de déceptions. 

N’oublions pas que nous sommes le premier capitaine à bord de notre navire. Si la mer est trop agitée ou trop calme, il n’est revient qu’à nous de changer de cap pour naviguer sur des eaux qui nous satisfassent davantage et qui, surtout, nous portent vers notre destination souhaitée. Mais encore faut-il la connaître et surtout SE connaître. Qu’est-ce qui nous rend heureux ? Que souhaite-t-on ? Qui veut-on être ? 

 

La définition de notre bonheur est abstraite. Il convient à nous de la définir selon nos propres critères et aspirations, et ce, en travaillant son Self-Leadership. Ce n’est qu’un prenant sa place, toute sa place dans notre vie professionnelle que nous pourrons ainsi toucher du doigt ce bonheur au travail. La sérendipité pourrait définir ce bonheur : une synchronicité optimale entre notre environnement et nous, à un moment donné. Ce n’est alors pas l’entreprise qui nous rend heureux, mais le choix que nous avons fait de nous investir dans celle-ci à cette étape de notre vie.

Revenir au blog

Découvrir d'autres articles

Le changement a changé. Changeons de perspective avec lui

Le changement a changé. Changeons de perspective avec lui

Le changement, ce n'est plus définir un but et adapter ses moyens à l'atteindre. C'est rassembler ses forces pour évoluer en fonction des opportunités, avec d'autres compétences et d'autres visions autour de nous.

L’entreprise est-elle responsable du sens ?

L’entreprise est-elle responsable du sens ?

Prôner le self-leadership de chacun pourrait laisser croire que les individus portent toute la responsabilité du sens de leur action. Position justement décriée par certains auteurs actuels, comme Christophe Genoud. Mais alors, seraient-ce nos organisations qui en sont responsables ?

Connaissance de soi : comment se comprendre dans un monde complexe et incertain

Connaissance de soi : comment se comprendre dans un monde complexe et incertain

La connaissance de soi est au cœur du self-leadership ; elle permet de travailler consciemment ses forces et ses faiblesses, mais aussi de progresser vers des rôles qui nous satisfassent pleinement. Mais comment se comprendre ? Comment savoir qui nous sommes ? Là est toute la difficulté, tant nous évoluons dans un monde complexe et incertain.

Faut-il être ambitieux pour être un bon leader ?

Faut-il être ambitieux pour être un bon leader ?

“Les dents qui rayent le parquet”. Cette célèbre expression, image de l’ambition humaine, sonne comme un jugement. En effet, l’ambitieux qui cherche à tout prix le succès, le statut et l’argent. Celui qui veut toujours plus à des fins purement personnelles. Mais l’ambition se cantonne-t-elle seulement à ce carcan péjoratif ? L’ambition, si elle est perçue aussi négativement, ne peut-elle cependant être au service du mieux ? Doit-on avoir de l’ambition pour être un vrai leader ?