Leadership : qu’est-ce qu’être un vrai leader ?
Jean-Yves Mercier

Leadership : qu’est-ce qu’être un vrai leader ?

Jean-Yves Mercier

« Un vrai leader ». Qu’est-ce qui se cache derrière ce mot qui recèle tant de fantasmes ? Y a-t-il les leaders et les autres ? Ou au contraire, pouvons-nous tous le devenir ? Quelles seraient alors les qualités d’un bon leader ? Interrogations légitimes tant la place et le statut du « leader » sont mis en avant dans notre société. Or un leader n’est ni un trait de caractère, ni une fonction. Être leader, c’est faire preuve de leadership dans certaines situations, et surtout, être capable de self-leadership.

Koh-Lanta. Nous avons tous ou presque regardé un jour cette célèbre émission de téléréalité ; un jeu d’aventures dans lequel une vingtaine de candidats doivent survivre sur une île pendant environ 40 jours, et ce, à coups d’épreuves et d’éliminations. Chaque premier épisode est marqué par la constitution des équipes, et notamment la désignation d’un ou d’une capitaine pour chacune d’entre elles.

“Avez-vous une âme de leader ? Sauriez-vous mener votre équipe à la victoire ?”. Telles sont les questions posées par le présentateur aux responsables des tribus nouvellement formées. Ce à quoi répondent certains candidats : “Ça va être difficile, je n’aime pas donner des ordres”, “Je n’ai pas le choix, je vais essayer d’être exemplaire”, “Je vais tout faire pour prendre les meilleures décisions pour mon équipe”.

Des réponses somme toute différentes mais qui illustrent parfaitement nos croyances forgées et ancrées par notre Histoire. Le leader doit diriger, être un exemple, prendre des décisions pour le bien commun de toutes et tous. Si nous prenons Le Robert et Le Larousse, un leader est un “chef”, un “porte-parole”, “une personne qui est à la tête” ou encore une “personne qui, à l’intérieur d’un groupe, prend la plupart des initiatives, mène les autres membres du groupe, détient le commandement”.

La « philosophie » véhiculée par cette émission semble transposable à notre monde professionnel : des équipes constituées d’hommes et de femmes, menées par une personne. Mais être leader, aujourd’hui, est-ce vraiment cela ?

Ce que n’est plus un leader

Un leader ne sait pas

Balayons tout d’abord l’idée selon laquelle un leader est quelqu’un qui sait, qui a la réponse à tout. Non, tout du moins aujourd’hui, un leader ne sait pas. Notre monde changeant constamment, il ne peut se placer ni être considéré par ses pairs comme “maître du savoir”. Un leader n’est qu’un individu, évoluant comme toutes et tous dans un environnement incertain. Nul ne peut affirmer et prédire ce qu’il se passera dans les jours, semaines ou années à venir. En tant que leader, on ne peut que tenter, créer ou saisir des opportunités, puis mesurer si les résultats sont à la hauteur des espérances. Et cela, en apprenant au fur et à mesure de ses expériences. Face à la complexité, rien n’est écrit.

Un leader n'est pas un protecteur

Un leader n’est pas non plus un protecteur. Cela ne veut pas dire qu’il ne doit pas faire attention aux individus de son organisation, loin de là. Mais cette relation parent-enfant tant ancrée dans nos cultures d’avant internet est aujourd’hui dépassée. Cette vision de la personne qui est “au-dessus” et qui a le savoir n’est aujourd’hui qu’obsolète. Un leader ne peut protéger ses confrères et consœurs, il évolue dans un monde confus et ne sait pas plus que les autres de quoi demain sera fait. Ce n’est plus au leader de protéger, mais bien aux personnes de se protéger elles-mêmes. Lorsqu’une mauvaise décision est prise, ce n’est plus le supérieur hiérarchique qui est incriminé, mais la personne qui a pris cette décision. Certains le regretteront, mais c’est le prix à payer pour l’autonomie de chacune et chacun à sa place de travail.

Un leader n'est pas un décideur

Un leader n’est donc pas un protecteur qui sait tout, et encore moins un décideur. Hier encore, il se confondait avec le “patron”, figure d’autorité dans un monde vertical et hiérarchisé et dont le rôle était de prendre toutes les décisions. Il n’en est rien à l’heure où le besoin de réactivité demande que nombre de décisions soient prises au niveau opérationnel. Tout comme il est absurde d’associer la notion de leader à celle d’“homme de pouvoir”. Ce dernier existe bien sûr, il contrôle les choses de manière à stabiliser ses zones d’influence. Il décide pour asseoir son pouvoir, bien plus qu’il ne tire ses « troupes » vers une direction donnée. Mouvement que donne au contraire un leader. Son rôle est avant tout de guider, sans pour autant tout décider ni avoir le dernier mot. Il doit bien sûr avoir des convictions, mais sans être une girouette, il doit aussi être capable de changer d’avis. Car encore une fois, aujourd’hui, un leader ne sait pas tout et navigue, comme toutes et tous, vers un avenir incertain.

Un leader n'est pas un exemple

Enfin, un leader n’est pas un exemple. Selon quels critères et selon quelles valeurs devrait-il l’être ? Chacun a ses propres critères et valeurs, développés et fondés par son éducation et ses expériences personnelles comme professionnelles. Pour certains, Donald Trump est un exemple. Pour d’autres non, c’est même l’anti-exemple par excellence. Dans une équipe, un département, une équipe, la pluralité des attentes fait qu’il ne peut y avoir un leader exemplaire pour tous. Cette position peut d’ailleurs avoir un effet repoussoir, amenant ce fameux reproche : “Il ne montre pas l’exemple”. Toute la responsabilité est ainsi attribuée, à tort, au leader.

Mais alors qu’est-ce qu’un leader ?

Si nous prenons un peu de recul, le leader tel que nous l’imaginons et dessinons n’existe plus. Il ne peut y avoir un leader d’un côté, menant la barque de front, et les autres. Cette croyance ou plutôt cette étiquette collée depuis longtemps est aujourd’hui désuète : personne ne peut être leader tout le temps. Ce n’est ni un rôle défini ni une étiquette que l’on colle à quelqu’un ad vitam aeternam. Non seulement personne n’a les réponses, mais les situations actuelles sont aussi trop complexes pour qu’un individu puisse prendre seul toutes les décisions. La rapidité avec laquelle il faut parfois agir fait que chacun à sa place dans son cadre de responsabilité. Il serait alors plus approprié de parler ici de leadership.

Faire preuve de leadership, c’est proposer à un moment donné une vision qui inspire et aspire

Être un leader, c’est avant tout faire preuve de leadership. Et ce leadership est avant tout situationnel. Une personne fera preuve de leadership dans certaines situations, ou à l’inverse, se laissera porter dans d’autres qui lui correspondront moins, pour des raisons qui lui sont propre. Faire preuve de leadership est également relationnel, c’est être capable de construire une relation de confiance avec autrui, créer du lien pour l’emmener, avec soi, vers une destination en partie inconnue. Ce qui peut fonctionner avec une équipe ne marchera pas avec une autre.

Emmener ne veut pas dire “Nous allons aller là-bas, suivez-moi”. Mais plutôt “Nous partons dans cette direction. Veux-tu être du voyage ?” C’est donner une vision, aller vers quelque chose qui inspire et aspire, sans pour autant connaître d’emblée le port d’arrivée. Une vision qui se base alors essentiellement sur l’intuition, facteur essentiel du leadership.

Dans un monde normé où la logique est plébiscitée comme la façon la plus sûre de décider, parler d’intuition semble illusoire. Et pourtant, c’est cette intuition qui insuffle notre capacité à penser librement, à être curieux de tout, être curieux de la différence, à écouter notre environnement, à aller chercher d’autres impulsions, d’autres ressources que la logique qui, elle, nous aurait possiblement bridés. Cette liberté fait d’ailleurs que nous retrouvons plus de personnes capables de faire preuve de leadership dans des petites structures que dans des grandes entreprises, où chacun a sa place et son rôle à tenir. Nous comptons au contraire davantage de managers et d’hommes de pouvoir que de leaders dans ces gigas structures.

De ce fait, le leadership se féminise. Cette intelligence intuitive, pour laquelle les femmes ont longtemps été critiquées, est aujourd’hui fondamentale dans cette notion de leadership. Tout comme l’intelligence collective. Faire preuve de leadership, c’est bien sûr définir une vision, impulsée par l’intuition, mais c’est aussi partager la conduite du voyage en écoutant les autres, en leur laissant prendre leur place, toute leur place.

Faire preuve de leadership n’a pas de sens sans self-leadership

Il n’y a plus d’étiquette ni de rôle prédéfini. Chacun peut aujourd’hui, à certains moments, dans certains contextes, faire preuve de leadership. Mais encore faut-il avoir l’envie de porter sa vision, et s’en sentir capable. C’est donc un choix, un risque que l’on prend. On ne peut pas faire ce choix de manière crédible sans être cohérent avec soi-même. Nul ne peut mener à bien ses aspirations s’il ne se connaît pas.

La clé pour faire preuve de leadership, c’est alors être capable de self-leadership. Il ne s’agit pas d’aller chercher les réponses à l’extérieur, mais – tout en écoutant son environnement - à l’intérieur de soi. Le self-leadership, c’est prendre conscience de son rôle, de ses compétences et de ses valeurs. Car pour être capable d’impulser des transformations, il faut savoir prendre du recul, savoir ce qui est important pour soi, et surtout, sentir comment son intuition peut répondre aux besoins de ses collègues et collaborateurs.

Alors à la question du présentateur de Koh-Lanta, il aurait été donc plus approprié de demander : “Saurez-vous faire preuve de leadership dans cette aventure ?”.

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