La solitude du dirigeant, une fatalité ?
Jean-Yves Mercier

La solitude du dirigeant, une fatalité ?

Jean-Yves Mercier

Quand on devient dirigeant, on ne signe pas seulement pour prendre des décisions. On hérite d’un rôle. D’un symbole. D’un visage. On devient « la personne morale » incarnée. Et avec cela vient une forme de solitude qu’aucune réunion stratégique ou soirée d'entreprise ne saurait combler.

Mais cette solitude est-elle inévitable ? Ou bien pouvons-nous apprendre à la traverser, voire à la transformer ?

1. Le poids des dimensions extérieures

On sous-estime souvent le pouvoir de l’imaginaire collectif. Le « boss », qu’on le veuille ou non, demeure une figure archétypale. On attend de lui qu’il décide, qu’il sache, qu’il tienne. Dans un monde VUCA, traversé d’incertitudes, d’hyperconnectivité et de simplifications abusives, le dirigeant cristallise à lui seul les enjeux, les projections… et les critiques.

Il n’est pas simplement un acteur économique ou légal. Il est un repère. Ou un bouc émissaire.

Cette posture est à la fois noble et risquée : mission solitaire, fragilité des certitudes, poids de l’impact. Et parfois, un sentiment tenace d’isolement.

2. Les dimensions intimes : entre doute et responsabilité

À l’intérieur, le tumulte est souvent plus grand encore. Car au-delà du rôle, il y a la personne.

Il y a l’égo, nécessaire pour tenir debout, mais parfois en parade face au doute. Il y a les décisions à prendre, sans jamais avoir toutes les données. Il y a cette question lancinante : « Est-ce moi qui ai fait ça ? Ou les circonstances ? »

Diriger, c’est vivre avec ses paradoxes. Entre intuition et raison. Entre responsabilité et impuissance. Entre engagement et perte de sens.

Et le doute, lorsqu’il est nié ou enfoui, creuse une solitude bien plus profonde que celle des bureaux vides le soir.

3. Réduire la solitude par le collectif

Bonne nouvelle : on n’est pas obligé de tout porter seul. La complexité contemporaine appelle des réponses collectives. Bâtir un comité de direction solide, ce n’est pas de la délégation. C’est de la stratégie. C’est même un acte de lucidité.

Et ce n’est pas grave si cela prend du temps. Mieux vaut une équipe lente à construire qu’un isolement rapide à installer.

Le collectif ne dissout pas la responsabilité du dirigeant, mais il l’élargit. Il crée de l’oxygène. Du miroir. Du courage partagé.

4. Remplacer la solitude par le recul

Autre levier : le recul. Celui qui permet de sortir du rôle. De se recentrer. De relativiser. Le piège, c’est l’hyperaction. Ce hamster dans sa roue, trop occupé pour penser, trop fatigué pour sentir.

Agir peut soulager. S’agiter, non.

Alterner entre action et recul, c’est retrouver du souffle. C’est recontacter l’essentiel. Et parfois, s’autoriser à ne pas savoir.

5. Vivre avec sa boussole

À un moment, il ne reste plus que cela : ce qui nous guide quand tout vacille.
Notre boussole.

Elle se compose de quatre dimensions intimes, que nous sommes peu nombreux à avoir vraiment pris le temps d’explorer :

  • Le sens de ce que nous faisons, c’est-à-dire la mission que nous nous donnons dans le monde ;
  • Les valeurs qui nous portent, celles que nous refusons de trahir, même en cas de tempête ;
  • Les limites que nous posons, celles qui définissent notre intégrité, notre santé, notre espace de respiration ;
  • L’impact que nous acceptons d’avoir, avec lucidité sur les conséquences de nos choix, pour nous comme pour les autres.

Self-Leadership : Les 8 Piliers pour trouver du sens, 2025

Sans cette boussole, les injonctions extérieures deviennent des vents contraires, les doutes intérieurs se muent en orages, et l’on finit par dériver sans cap, en gardant pourtant l’air de gouverner.

C’est pour cela que le programme Self-Leadership consacre un temps fort à cette exploration. Parce que diriger, ce n’est pas seulement décider pour les autres. C’est d’abord savoir d’où l’on parle, pour quoi l’on agit, et jusqu’où l’on veut aller.

Nous y travaillons ces quatre dimensions, de manière structurée mais profonde, personnelle mais jamais solitaire. Car une boussole, ça ne se fabrique pas dans la théorie. Ça se révèle dans l'expérience, le dialogue et le recul.

Ce n’est pas tant de réponses dont nous avons besoin, mais d’un point intérieur depuis lequel les formuler.

Alors, la solitude du dirigeant : fatalité ?


Non.
Mais elle est un passage.
Un signal.
Une invitation à bâtir, à ralentir, à réfléchir… et à écouter sa propre boussole, au cœur du complexe et de l'incertain.

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